L’histoire de France peine encore, notamment dans les grands récits et les synthèses, à sortir d’un récit qu’on pourrait dire « internaliste », dans lequel les formes d’explication et de contextualisation mobilisées relèvent d’évolutions, de focales, d’institutions, de cohérences internes, prises dans le territoire national et son archéologie. En dépit de nombreuses invitations à prendre la mesure de tous les acteurs, toutes les dynamiques et toutes les territorialités autres que « nationales » qui ont pu contribuer à l’histoire de France, celle-ci reste marquée par ce qu’il est convenu d’appeler un « nationalisme méthodologique », quand nombre d’historiens d’autres pays, comme la Grande-Bretagne, les États-Unis ou l’Allemagne ont déjà expérimenté avec profit une telle ouverture. Or, pour comprendre l’histoire complexe de ce qu’on nomme « la France », depuis le XVIIIe siècle, soit la genèse contestée d’un État-nation, ses projections impériales en Europe et outre-mer, mais aussi l’ensemble des dynamiques qui animent les populations, les territoires et les institutions que ces formes stratifiés de pouvoir s’efforcent d’encadrer et de mobiliser, il nous semble nécessaire de l’inscrire dans des trames relationnelles différentes, que l’on peut désigner comme transnationales ou comme globales. La perspective est simple, et en même temps ambitieuse : elle propose de penser à nouveaux frais, quand c’est possible, les moments-clés et les débats centraux de l’histoire « de France » en restituant la part décisive qu’y tiennent des mobilités, des territorialités et des liaisons à distance que la territorialité nationale n’a ni interdites ni absorbées.
Loin de sacrifier à un effet de mode, il s’agit de saisir une opportunité de recherche essentielle, d’une certaine manière ancienne et aujourd’hui renouvelée. Puissamment illustrée dans les communautés historiennes anglophone, hispanophone et germanophone depuis trois décennies par des travaux divers, des enquêtes ponctuelles comme des synthèses, cette histoire a démontré sa capacité à enrichir la compréhension des histoires dites nationales, à la fois par l’invention de nouveaux objets, par l’ouverture de nouvelles pistes de recherche, la mise en cause d’explications trop évidentes et son aptitude à situer l’histoire nationale dans le cadre d’une histoire plus large, notamment l’histoire de la mondialisation.
En ce sens, l’expression d’histoire transnationale et globale entend désigner ici un large spectre de questionnements et de manières de faire : étude des circulations, approche connectée, croisée, comparée, micro-histoire et jeux d’échelles, histoires partagée, coloniale, impériale, transimpériale, d’autres encore. Le projet de ce séminaire est ainsi, d’une part, de faire converger les efforts de ceux qui s’y adonnent déjà, de manière souvent dispersée ; d’autre part de discuter de manière plus approfondie les méthodologies, leur articulations et les manières concrètes de faire cette histoire, à partir de questions précises et de terrains empiriques. Choisir de s’orienter dans ce sens n’interdit naturellement pas la réflexivité critique, que ce soit sur l’histoire récente ou plus ancienne de ce projet historiographique, ou sur la question essentielle de ses enjeux académiques ou politiques, qu’ils soient implicites ou avoués. Ce faisant, il s’agira de s’interroger sur ce que l’histoire « de France » doit à ses dimensions « extrahexagonales » - et donc aussi infrahexagonales, en étant convaincu que, suivant ce chemin, on interrogera aussi de manière intéressante la production du « national » et de l’invention d’une nouvelle forme d’État. À l’inverse, il s’agira bien, en retour, depuis ce lieu d’observation qu’est la France, de participer aux discussions actuelles sur les objectifs, les moyens, les limites et les perspectives de ces approches « par-delà les frontières nationales ». C’est à réfléchir et à travailler sur cette autre histoire de France que nous vous convions.