La liberté de circuler de l’Antiquité à nos jours: Concepts et Pratiques

La liberté de circuler de l’Antiquité à nos jours: Concepts et Pratiques

Organizer(s)
Collège de France/Ecole Normale Supérieure (Paris) avec: CNRS (Paris), Ecole française de Rome, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, Paris), Centre de recherches historiques (CRH, Paris), Institut Universitaire de France (IUF, Paris), Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH, Aix-en-Provence), Université de Paris VIII, Université de Paris I, University of Southern California (USC, Los Angeles)
Location
Paris
Country
France
From - Until
21.03.2007 - 24.03.2007
Conf. Website
By
Adèle Garnier, Zentrum für Höhere Studien, Universität Leipzig

Le colloque « La liberté de circuler de l’Antiquité à nos jours : concepts et pratiques » constitue la conférence finale d’un projet de cinq ans consacré aux contrôles de la mobilité des personnes en Méditerranée de l’Antiquité au monde moderne, dirigé par trois historiens: Claudia Moatti (USC/Paris VIII), spécialiste de l’Antiquité romaine, Wolfgang Kaiser (Paris I/EHESS), historien moderniste du monde méditerranéen ainsi qu’Henriette Asséo (EHESS), spécialiste de l’histoire des tziganes en Europe.1

Ce dernier colloque d’une série de huit en représente une triple ouverture : temporelle vers le monde contemporain, spatiale puisque les communications portèrent au-delà du monde méditerranéen sur l’Europe dont l’Empire ottoman et sur les Etats-Unis, et interdiscipinaire puisqu’aux côtés des historiens se trouvaient des philosophes, politologues, juristes, anthropologues et sociologues pour débattre des aspects théoriques et pratiques de la liberté de circuler.

Le programme était consitué de six sessions, la première consacrée aux problèmes théoriques posés par le concept. Pour Claudia Moatti, la liberté de circuler constitue à l’époque contemporaine un concept paradoxal, sacralisé dans les textes de droit international alors que les murs, camps et contrôles aux frontières prolifèrent. Cette thématique fut développée par le philosophe Etienne Balibar (Paris X) questionnant la possibilité de penser une citoyenneté nomade. La liberté de circuler, droit fondamental de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, s’articule autour de la notion de « pays » et constitue ainsi une justification universelle des frontières. L’encadrement du droit à la liberté de circuler en représente-t-il sa négation ? Balibar évoqua le problème historique du caractère performatif des énoncés juridiques, de portée générale mais de mise en oeuvre toujours particulière – de ce point de vue, l’encadrement de la liberté constitue sa condition de possibilité. Comment rendre possible une citoyenneté nomade en cette époque de brouillage des frontières - sur lesquelles sont basées la souveraineté et la définition classique de citoyen ? En démocratisant le franchissement des frontières comme une autolimitation à la souveraineté des Etats, à l’aide d’acteurs luttant pour une représentation démocratique des migrants, selon Balibar.

Une perspective historique peut permettre d’encadrer et d’élargir les questions actuelles liées aux migrations et aux contrôles. Cependant, la recherche historique n’est pas sans lacunes, comme le montra l’historien moderniste Daniel Roche (Collège de France), soulignant l’indifférence d’une certaine historiographie au concept général de liberté de circuler, ce qui masque la réflexion sur l’unité du concept. Roche mit l’accent sur les structures générales de la mobilité à l’époque moderne telles l’élargissement de la maîtrise des espaces ou la rupture du quotidien sur les plans temporel et social, ainsi que sur l’institutionalisation des contrôles alors que les frontières étatiques s’imposent progressivement dans l’Europe moderne. L’anthropologue Giulia Sissa (UCLA) évoqua l’ambivalence des utopies socio-politiques de Platon au 18e siècle en matière de mobilité : la cité idéale n’est possible que dans un ailleurs historique et géographique, mais ses citoyens sont astreints à un strict contrôle de leurs mouvements afin d’éviter les influences étrangères corruptrices.

La session suivante, intitulée « Territorialité et appropriation des espaces » se focalisa en particulier sur la construction du droit de la mer depuis l’Antiquité, les océans étant alternativement interpretés comme appropriables ou comme relevant de la responsabilité de l’humanité entière et à ce titre libres de droits de propriété. Anthony Pagden (UCLA), historien et politologue se consacra ainsi à l’affirmation par Grotius, à la suite des grandes découvertes, de la liberté des mers comme un droit naturel. Wolfgang Kaiser rappela que de nombreuses mers fermées telles la Méditerranée sont historiquement des espaces saturés de droit et de communication en prise à de nombreuses rivalités territoriales, ce que l’historien de l’Antiquité Christophe Pébarthe illustra par une étude de la codification de la domination maritime d’Athènes sur le monde égéen du 5e siècle av. JC.

Après cette dimension territoriale, c’est la dimension économique de la liberté de circuler qui fut abordée. L’économiste et anthropologue de l’Antiquité Alain Bresson mit en avant les relations entre usage de la monnaie et mobilité en Grèce antique. Seule Sparte interdisait l’usage de la monnaie d’argent, monnaie d’échange « internationale » considéree comme corruptice, bien qu’ en pratique la fraude (dépot d’argent dans les cités étrangères) fût généralisée. Le médiéviste Philip Schofield (Aberystwyth) illustra la forte mobilité des personnes de toutes classes au Moyen-Age, en étudiant les tentatives de contraintes de la mobilité des serfs par les seigneurs anglais. Historienne de l’économie et de la société, Francesca Trivellato (Yale) évoqua l’importance du facteur économique dans la construction juridique de l’identité de la diaspora juive dans la Toscane d’après l’Inquisition. L’hospitalité faite à la diaspora juive exilée de la Péninsule ibérique en Italie était basée sur la conviction de son dynamisme économique et non en vertu d’un principe d’asile universel. Paul-André Rosenthal (EHESS) déconstruisit le concept de « tyrannie du national » dans la gestion des travailleurs immigrés de l’entre-deux guerre en France, régie non par un Etat despotique unitaire mais par plusieurs ministères aux intérêts divergeants, la volonté étatique était également autolimitée dans le cadre de traités internationaux et par les intérêts d’acteurs privés tels les entrepreneurs.

La session suivante porta spécifiquement sur la mobilité des étrangers. La juriste Claudia Storti (Varese-Como) et l’historien Edhem Eldem (Istanbul) soulignèrent le pragmatisme juridique du droit des étrangers respectivement dans l’Europe du Moyen-Age et dans l’Empire ottoman moderne. Dans ce dernier, la formalisation du statut des étrangers s’est vue exportée par la France et l’Angleterre soucieuse du renforcement du contrôle bureaucratique de leurs ressortissants. Le philosophe Marc Crépon (CNRS, ENS) se livra à une analyse de textes de Lévinas sur la notion d’incondition d’étranger, l’étranger devant se tenir en-deça de toute représentation, ne se fondant pas dans le moule de l’identité des pays dont il n’est pas originaire. La réflexion sur la vulnérabilité de l’étranger conduisit à une discussion sur le déficit identitaire de sociétés incapables de gérer leur pluralité.

L’avant-dernière session « Droit de partir, droit d’entrer » vint prolonger ces réflexions. La communication de Claudia Moatti porta sur le droit de partir dans la Rome antique et sur la notion romaine de « juste émigration ». Les citoyens de Rome étaient libres de circuler à condition de respecter certains devoirs, certaines fonctions politiques assignant à résidence à Rome. Avec le développement de l’empire colonial romain, il fut possible aux citoyens de la ville de maintenir leur citoyenneté romaine en partant, même en prenant la citoyenneté de la ville d’arrivée. Cette codification de la mobilité contribua à l’unification de l’empire romain. L’historienne des migrations Nancy Green (EHESS) évoqua l’asymmétrie entre droit à l’émigration et droit à l’immigration. L’émigration est multiple entre émigration forcée, droit de partir, droit de résider ailleurs et droit de changer de nationalité, et elle est très hétérogène. Les juristes Niels Franzen (USC) et Jérôme Valluy (Paris I) se consacrèrent au droit d’asile, respectivement aux Etats-Unis (comparaison du statut des demandeurs d’asile cubains privilégés pour raisons politiques aux demandeurs d’asile haitiens) et en Europe. Jérôme Valluy développa le concept du droit d’asile contre le droit de l’asile, le premier étant affirmé dans les conventions internationales, le second consacrant au niveau des législations nationales et europénnes un « droit de rejet » dans l’Union europénne alors que les taux de refus de demandes d’asile s’élèvent à plus de 90%.

La session finale consacrée au cosmopolisme contemporain donna lieu à un débat sur l’état actuel de la souveraineté dans l’Union Europénne. Alors que le politologue Gérard Mairet (Paris VIII) évoquait la fin europénne de la notion classique de souveraineté, ouvrant la voie à une réflexion sur un possible cosmopolisme européen, Etienne Balibar et Danièle Lochak (juriste, Paris X) soulignèrent la construction en marche d’une souveraineté et d’un cosmopolisme européens, ce même en l’absence d’une constitution europénne. Ce débat fut repris lors de l’intervention conclusive de Henriette Asséo qui proposa une réflexion sur le manque apparent d’imaginaire des politiques actuelles en matière de circulation, les sociétés contemporaines ayant de grandes difficultés à trouver une définition de leur souveraineté adaptée aux problèmes auxquelles elles sont confrontées, à la différence des époques passées.

D’une grande richesse, ce colloque a mis en évidence les enrichissements réciproques permis par une réflexion interdisciplinaire sur un concept aussi vaste que celui de liberté de circuler, ce même si certaines thématiques ont été peu abordées (migrations forcées, lien entre mobilité et marché). Si une telle interdisciplinarité en matière de recherche ne peut que difficilement venir répondre à une programmatique précise, des structures de longue durée caractéristiques de la mobilité en Europe – région majoritairement représentée lors du colloque - ont traversé les contributions. D’une part, la mobilité touche depuis l’Antiquité toutes les classes sociales et peut porter sur de très longues distances, même pour des populations considérés comme peu mobiles (les serfs du Moyen-Age par exemple). D’autre part, la mise en place de contraintes différencielles à la mobilité n’est pas l’invention des Etats modernes mais semble être caractéristique des entités politiques depuis la Grèce Antique. Ce qui paraît constituer en Europe une rupture entre Antiquité, Moyen-Age et monde moderne d’une part, époque contemporaine d’autre part, est l’impossiblité des Etats actuels à faire preuve de pragmatisme et de flexibilité vis-à-vis des mouvements de populations. Ce constat prête à réfléchir alors que les diasporas et réseaux transnationaux comptent parmi les thématiques centrales de la recherche contemporaine sur les migrations.

1 Lien vers le programme exact du colloque : www.ecole-francaise.it/fr/liberte_de_circuler.pdf
Les colloques du projet donnent lieu à publication, un volume est paru : Claudia Moatti (dir.), La mobilité des personnes en Méditerranée de l'Antiquité à l'époque moderne : procédures de contrôle et documents d'identification, Actes des colloques tenus à Rome (8-9 mars 2002) et à Paris (29-30 novembre 2002), Rome : Ecole Francaise de Rome, 2004. A paraître en juin 2007: Claudia Moatti, Wolfgang Kaiser (dir.) : Gens de passage en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne, Actes du colloque tenu à Aix-en Provence, 23-24 mai 2003, Paris : Maisonneuve et Larose.

Contact (announcement)

Adèle Garnier, Zentrum für Höhere Studien, Universität Leipzig
E-Mail: <garnier@rz.uni-leipzig.de>


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Published on
01.06.2007
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French
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