E. Bérard: Pétersbourg impérial

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Title
Pétersbourg impérial. Nicolas II, les artistes et la ville


Author(s)
Bérard, Ewa
Published
Paris 2012: Belin
Extent
400 S.
Price
€ 25,00
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Michel Espagne,ENS/ CNRS, Paris

Si les histoires de Saint-Pétersbourg ne manquent pas, une histoire de la capitale russe autour de 1900 orientée sur la dimension politique de ses caractéristiques urbanistiques et artistiques constitue un mode d’approche nouveau. Plus précisément encore, c’est l’histoire culturelle du tiers-état de Saint-Pétersbourg, concentrée en Russie sur quelques décennies qu’Ewa Bérard s’est proposée de décrire. La ville des bords de la Neva, qui a vu naître la littérature russe moderne, possède un exceptionnel potentiel mythogène. Si Nicolas II durant ses 23 ans de règne constitue un fil directeur de l’enquête historique, c’est à travers le contre-pouvoir politique de la douma qu’on appréhende le mieux l’atmosphère caractéristique de son règne.

Mais Sergueï Diaghilev et le Monde de l’art comme Alexandre Benois sont les véritables artisans de l’atmosphère propre à la ville. Dès le couronnement de Nicolas II, l’épisode meurtrier de la Khodynka ou moururent plus d’un millier de personnes donnait un accent tragique au début du règne. En 1896, quelques semaines après la catastrophe, l’exposition de Nijni Novgorod marquait l’importance de l’industrie et du commerce dans un Etat où les entrepreneurs exigeaient désormais la reconnaissance de leur travail. L’ouverture du pays est confirmée par un rapide voyage à Paris où Nicolas II pose la première pierre du pont Alexandre III. Rentré en Russie il va se réfugier à Tsarskoe Selo et ne fréquentera que peu la ville de Saint-Pétersbourg qu’il ne contribue guère à embellir. Ewa Bérard suit les diverses cérémonies officielles où le souverain rencontre tout de même sa capitale, comme par exemple les célébrations du bicentenaire. C’est dans le Monde de l’art que l’auteur du livre cherche le plus volontiers le reflet de la ville qui avait, en 1866, vu naître le personnage de Raskolnikov. Cette présence se poursuit dans le roman de Biély, sur Saint-Pétersbourg, achèvement d’une tradition dans laquelle se rangent Pouchkine et Gogol. Comprendre la revue de Benois, c’est aussi comprendre l’idéologie des nihilistes, puis le cercle d’un jeune homme qui voit le bourgeois faire irruption dans l’univers de l’art. Un scandale est produit par les panneaux de Vroubel à l’exposition de Nijni-Novgorod qui ont valeur de proclamation. La partie littéraire et philosophique du Monde de l’art revient à Dimitri Filosofov qui attire des écrivains philosophes prestigieux comme Chestov. Benois multiplie les entreprises éditoriales et publie Les trésors de l’art russe, tandis que L’histoire de la peinture au XIXe siècle de l’Allemand Muther fait découvrir, par défaut, l’existence de la peinture russe moderne. Mais Benois, pour en revenir au Monde de l’art sait surtout introduire l’espace urbain russe dans l’esthétique. Ewa Bérard s’attache aux tentatives de sauver la capitale, évoquant les caractéristiques de la croissance urbaine, l’organisation municipale, le statut urbain, la situation des ouvriers de la métallurgie et de l’imprimerie, celle des locataires, les bagarres aux usines Poutilov. Mais elle suit aussi l’établissement de la Galerie Tretiakov. Elle s’intéresse tout particulièrement au capitalisme urbain dans le contexte de la révolution de 1905.

Dépourvue de symboles aussi forts que la prise de la Bastille, la révolution de 1905, évoquée par Ossip Mandelstam, sera surtout marquée par l’installation de la Douma dans le palais de Tauride. Alors que l’autocratie émerge du désastre, Diaghilev part à Paris et, avec Benois, met sur pied une rétrospective de l’art russe. Benois qui rentre en Russie en 1907 développe alors une conscience du patrimoine qui va se cristalliser autour des revues Années anciennes et Apollon. Un fort besoin de renouer avec le patrimoine national se fait jour en effet vers 1910. Inspirés par Aloïs Riegl, pour qui les arts décoratifs étaient l’expression d’une époque, les artistes russes visent un programme didactique au sein de l’Académie pétersbourgeoise. Les arts ne suffisent pas toutefois à conjurer les peurs urbaines comme celle du choléra qui tue près de 4000 personnes en 1908 et fait des questions d’assainissement et d’aménagement urbanistique du centre un sujet central dans les débats du moment. Ewa Bérard dresse un portrait du dernier maire de Saint-Pétersbourg Ivan Ivanovitch Tolstoï, décrit les activistes municipaux du groupe urbain à la Douma. Les dernières années de la Russie prérévolutionnaires ont l’allure d’un Bas-Empire romain, l’okhrana et les sociaux révolutionnaires, Raspoutine et l’assassinat de Stolypine contribuant largement à asseoir cette image de décomposition. La dynastie des Romanov, dans son domaine de Tsarskoie Selo, attendait la fin d’un processus que la guerre accentua. Contribution essentielle à l’histoire de Saint-Pétersbourg, l’ouvrage d’Ewa Bérard se distingue par un singulier entrelacs d’études précises sur la vie municipale dans ses aspects les plus administratifs, de recherches sur la vie artistique, y compris architecturale, et d’interprétations politiques de ces signes urbains, souvent contextualisés dans un ensemble européen. Le mythe de Saint-Pétersbourg a trouvé une nouvelle expression.

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06.12.2013
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Diese Rezension entstand im Rahmen des Fachforums 'Connections'. http://www.connections.clio-online.net/
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